Rabat. Rue des Consuls. Il est midi. Des échoppes de tailles diverses sont jonchées de part et d’autre de cette ruelle historique partiellement pénétrée par les lueurs du soleil. Des objets multicolores sautent aux yeux : djellabas, poteries, babouches, etc., mais ce qui attire l’attention ce sont les tapis.
Étalés jadis à même le sol, ces tapis sont précieusement rangés à l’intérieur des échoppes à cause des travaux de réaménagement de la rue. À l’intérieur d’une boutique, l’odeur de poussière remplit l’atmosphère. Une situation sûrement due au temps resté par beaucoup de tapis sans être écoulés.
«La vente de tapis ne marche plus comme avant. L’activité va de mal en pis. Aujourd’hui, j’ai du mal à vendre une pièce par jour comme il était de coutume», se désole Noureddine, un vendeur âgé de 49 ans présent sur les lieux depuis 1993. Bien installé dans son bazar en attendant le client rare, ce commerçant pointe du doigt la crise. «C’est surtout la crise qui a aggravé la situation. Autrefois, les touristes faisaient partie de nos clients potentiels. Mais voilà depuis quelques années seulement, la plupart de ces étrangers ne viennent que pour visiter et prendre des photos», indique-t-il.
Pourtant, ce n’est pas l’avis de ce touriste français trouvé sur les lieux. Accompagné de son épouse Marianne, Charles explique que c’est surtout pour des raisons pratiques qu’ils ne peuvent pas se procurer certains objets. «On achète souvent des pièces de petite dimension. Elles sont plus pratiques et ne pèsent pas très lourd. Ce qui risque d’être difficile pour le transport dans l’avion», se défend-il, reconnaissant cependant «la beauté et la diversité de modèles qu’offre le tapis marocain».
De l’autre côté de la rue, un magasin venait de vendre une pièce d’une taille moyenne. La gérante, une sexagénaire du nom de Benjelloune, moins fataliste, tempère la situation. «Le marché du tapis n’est pas mort. Il a connu certes des remous ces dernières années dus à la crise et à la concurrence des tapis confectionnés par les industries. Mais il survit jusqu’à présent», rétorque-t-elle, ne voulant pas donner plus de détails sur ses revenus.
Le tapis de Rabat, bien que prisé, coûte plus cher que le tapis synthétique fabriqué dans les usines. Son prix est jusqu’à 2 ou 3 fois plus élevé que le produit imité.
Une situation qui, selon Mohammed, s’explique par «le nombre important de femmes qui travaillent le tapis et le temps nécessaire (plus d’un mois) pour le confectionner». Ces femmes, nous dit Mme Benjelloune, «boudent de plus en plus le métier, découragées par les efforts pénibles consentis et les revenus maigres gagnés». «Ce qui ne manque pas d’influencer l’offre», poursuit-elle.
Depuis quelques mois, des travaux ont été entrepris pour aménager et rendre plus attrayante l’ancienne rue des consuls. «En rendant cette ruelle plus étroite et moins fréquentable avec les bruits des machines, la poussière et les odeurs occasionnées, ces travaux chassent les clients surtout les touristes», nous dit Haj. Même son de cloche pour M. Aly qui voit dans cette affaire «une complication d’une situation déjà critique». Mais, de son côté, Noureddine considère que ces travaux, une fois terminés, ne feront qu’améliorer la donne. «La rue sera plus attirante et les touristes se feront certainement plus nombreux», renchérit-il.
Le tapis de Rabat s’est forgé une notoriété dans le temps pour devenir un des produits incontournables de l’artisanat marocain. Caractérisé par ses symétries, ses motifs floraux accompagnés souvent d’un médaillon au centre avec différentes formes, le «roi des tapis marocains» est composé de deux catégories. Une première appelée tapis «Extra» et une autre dite «Supérieure». Le premier type, plus cher, se distingue par le nombre de points qui composent la trame. Ce dernier peut aller jusqu’à 40 points sur 10 centimètres. Son prix est compris entre 1 000 et 1 500 DH le mètre carré. Le second, quant à lui, se reconnait par son nombre de points moins importants (30 sur 10 centimètres). Il est fait à base de coton ou de laine et coûte moins cher que le premier (environ 500 DH le mètre carré). Pour son histoire, quand certains disent que des Mauresques venus s’installer sur les rives du Bouregreg l’auraient amené vers le 17e siècle, d’autres, plus légendaires, narrent qu’«un jour, une cigogne a laissé tomber dans le patio d’une maison un morceau de tapis oriental», qui aurait inspiré les femmes qui confectionnèrent le tapis de Rabat.
-* Les tapis sont précieusement rangés à l’intérieur des échoppes à cause des travaux de réaménagement de la rue.
-* La vente de tapis ne marche plus comme avant.
Provider / Source : Seydina Ousmane Mbaye, Le Matin